LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La débâcle" - Emile Zola

"Sedan n'est pas une honte, mais un désastre, le calvaire de l'armée française immolée pour un intérêt dynastique". (Notes préparatoires à la rédaction de "La débâcle")

Après "La curée", et l'immersion dans les salons bourgeois du Paris du second Empire, "La débâcle" nous entraîne sur les champs de bataille de la guerre franco-prussienne de 1870, nous proposant une facette plus macabre et plus pitoyable de cette période troublée, qui aboutira à la chute de Napoléon III. L'auteur nous emmène plus précisément sur le front de l'Est, aux côtés du 106e régiment, dont nous partageons, de Belfort à Sedan, l'intimité de certains des soldats. Parmi eux, deux hommes qu'a priori tout oppose, qui vont pourtant nouer une solide amitié. 

Jean Macquart, paysan, s'est engagé dans l'armée, où il est devenu caporal, suite au décès de sa femme et à la perte de ses terres. Fort d'une expérience acquise lors de la campagne d'Italie, il allie à son bon sens et à sa rigueur pragmatique une empathie et une simplicité héritées de sa condition rurale. Maurice Levasseur, est, à l'inverse, un lettré imbu de sa personne, un jeune homme capricieux qui a dilapidé en frivolités les restes d'une fortune familiale déjà bien diminuée, quand il était censé suivre à Paris des études de droit. Son enrôlement répond à une volonté de racheter son inconséquente conduite aux yeux de sa sœur Henriette, dont il est très proche, et qui s'est occupée de lui à la mort de leur père.
D'instinct, les deux hommes éprouvent l'un pour l'autre une inimitié réciproque, alimentée chez Maurice par la répugnance d'être sous les ordres d'un membre de la classe inférieure, et chez Jean par le dépit complexé que suscite ce mépris. Le courage et la générosité dont Jean fait preuve, malgré la dureté de leurs conditions de vie, et la maturité qu'acquiert peu à peu Maurice fait évoluer leurs rapports en un attachement quasi fraternel lorsque l'un sauve la vie de l'autre.

Immergé, avec quelques autres de leurs camarades, dans un quotidien rendu très difficile par les privations, puis par l'omniprésence de la mort, nous suivons les étapes d'un conflit que l'on devine perdu d'avance... Ce qui devait, selon les arrogantes certitudes d'une certaine élite française, n'être qu'une simple promenade militaire se concluant par l'écrasement, en quelques semaines, de l'armée prussienne, se transforme en effet en désastre. 

D'abord motivées par les discours vantant la puissance de l'armée française s'opposant à la soi-disant déstructuration allemande, les troupes stationnées dans un premier temps à Belfort subissent le découragement de longs jours d'inaction, ponctués par les informations contradictoires qui leur parviennent du commandement, qui semble hésiter sur la stratégie à adopter. Dévorés par l'attente, déplacés, sans but évident, d'un site à l'autre, tantôt se repliant sans même s'être battus, tantôt se préparant pour une offensive qui ne survient jamais, les hommes se démoralisent d'autant plus vite que les erreurs récurrentes d'une intendance désorganisée les privent de vivres. Face à la faim, au froid, à l'humidité, à l'épuisement, la ferveur patriotique ne fait pas long feu.


Puis c'est l'arrivée à Sedan, et la bataille enfin... La France des victoires légendaires, payant cher son manque de cohésion, son infériorité numérique et matérielle, se fait culbuter par un petit peuple dédaigné... Cette défaite est la conséquence logique de l'agonie d'un second Empire à bout de souffle, que symbolise celui qui apparaît à plusieurs reprises dans le récit comme le pitoyable Napoléon III, dont le règne comme la santé sont considérablement affaiblis. Il y est dépeint comme une ombre traînant sa faiblesse parmi la déroute, en perte de légitimité, empereur qui n'a plus vraiment de trône depuis qu'il a confié ses pouvoirs à l'impératrice régente, et chef d'armée fantoche, puisqu'il a remis au maréchal Bazaine le commandement suprême... 

"La débâcle" est ainsi le récit de la fin d'une époque, de la transition politique et sociale qui bouleverse la société française. Le roman se termine juste après la Commune de Paris, qui à la fois renforce l'implantation en France de la République -qui a montré qu'elle était capable de venir à bout des désordres populaires- et devient un véritable mythe unificateur au sein du mouvement ouvrier.


Le personnage de Maurice est également érigé comme symbole de cette évolution, de cet épuisement de la grande bourgeoisie militaire qui jusqu'au milieu du XIXème siècle, représenta la grandeur de la nation. Il est en effet le dernier maillon d'une lignée qu'un aïeul a porté à son apogée en brillant au sein de la grande armée, dont le délitement, entamé avec une génération intermédiaire de bureaucrates, se parachève avec ce jeune homme superficiel devenu un simple soldat subissant la défaite. 

Ce contexte fait de "La débâcle" un texte passionnant d'un point de vue historique, mais pas seulement... 

Le réalisme dont bénéficie le récit, riches en détails macabres et sanglants, en scènes épiques -telle l'image de ces chevaux abandonnés, qui hantés par la faim, parcourent en hordes galopantes la dévastation des champs de bataille- comme en anecdotes significatives, parfois très violentes, lui confère une sorte de grandiloquence, mais une grandiloquence parfaitement maîtrisée qui, alliée à la précision documentaire avec laquelle l'auteur décrit les étapes de la bataille, donne à "La débâcle" éloquence et densité. Et les personnages, principaux comme secondaires, n'en sont pas pour autant négligés, leur complexité, la façon dont ils évoluent au fil de l'intrigue démontrant une fois de plus le talent d'Emile Zola comme peintre de l'âme humaine.


J'ai eu le grand plaisir de faire cette lecture en commun avec Valentyne, Claudialucia et Patrice.

Commentaires

  1. Pas trop de souvenirs de cette lecture, j'ai lu tous les RM il y a longtemps...

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    1. Je suis personnellement loin de les avoir tous lus, il me manque notamment certains "grands titres" comme Germinal ou La bête humaine... pour ceux que j'ai lus, c'était il y a longtemps aussi, je me souviens surtout de L'assommoir, peut-être parce que c'est avec ce titre que j'ai découvert Zola, et que je l'avais trouvé extrêmement sordide. Nana aussi, m'a laissé quelques scènes en mémoire..

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  2. La grandiloquence de Zola .... quand j'en relis des passages, j'en vois toutes les ficelles ... je n'arrive plus à le lire sérieusement ! Mais j'ai retrouvé le passage sur les chevaux, c'est très fort quand même !

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    1. De mon côté, j'ai bien aimé retrouver ce réalisme un peu outré (ces termes sont contradictoires, non ?) qui donne du souffle au texte. Je trouve la juxtaposition intéressante entre la dimension épique de certains passages, et le prosaïsme d'autres..

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  3. je viens te lire ce soir. A bientôt !

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  4. Et voilà je suis libre pour venir te lire ! Je suis tout à fait d'accord avec toi sur ce livre et sa valeur, éloquence et densité, peintre de l'âme humaine; et pas du tout avec Athalie car je suis toujours sensible au style de Zola et à son côté flamboyant. La scène des chevaux est très belle, en effet, et celle des marguerites et la vision récurrente de Napoléon III semblable à un spectre hantant la bataille, assassin de son peuple. Le terme de grandiloquence peut paraître péjoratif, me semble-t-il, ou alors comme tu le dis "maîtrisé", mais c'est incontestablement un style épique. Très heureuse de cette LC.

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    1. Très heureuse aussi, et prête à réitérer ! C'est vrai qu'il y a une connotation caricaturale, lorsqu'on évoque la grandiloquence, et je l'ai employé par qu'il me semble que Zola, par moments, force un peu le trait pour rendre son récit marquant, mais cela passe très bien, et donne à l'ensemble un souffle qui, en effet, imprègne le lecteur.

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  5. De Zola, je n'ai lu qu' "Au bonheur des dames", à l'adolescence, en dehors de toute obligation scolaire et j'avais beaucoup aimé, sans doute parce que ce volume est un peu moins "noir" (ou plus exactement "autrement noir") que les autres tomes de la saga. J
    Depuis, je me suis toujours promis de lire l'intégralité des RM dans l'ordre chronologique... Vœu resté pieu à cette heure mais je ne désespère pas de le réaliser un jour... Je ne suis pas très doué avec les contraintes (dès qu'il s'agit de "plaisir" ou de "loisir") mais je pourrais sans doute y arriver en me fixant le modeste objectif d'un tome tous es mois, ou tous les trimestres...

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    1. J'ai beaucoup aimé moi aussi Au bonheur des dames...moi qui suis pas du tout "chiffons", j'avoue même avoir été emportée par les descriptions des mètres de dentelles, de rubans, d'étoffes. Et j'espère que tu réaliseras ton projet de lire tous les RM, cela me semble très réalisable !

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  6. Tiens, tiens, il ne me semble pas l'avoir lu celui-là. Je lisais "beaucoup" Zola à une époque, un auteur que j'aime vraiment beaucoup, je pourrais bien revenir à lui avec ce titre. Mais bon, cette année, côté classiques, c'est priorité à Guerre et Paix.^^

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    1. Zola sera pour l'année prochaine, peut-être ?! En tous cas ce titre est vraiment à découvrir. Je connaissais peu cet épisode de l'Histoire, et la précision quasi documentaire du récit est vraiment édifiante !

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  7. J'ai beaucoup aimé le personnage de Jean et aussi l'évolution de Maurice
    Pour tout dire , je l'apprécie plus avec le recul (je l'ai fini il y a quinze jours) que sur le moment: le côté carnage......toute cette jeunesse qui sert de chair à canon....

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    1. Je suis d'accord avec toi, c'est une lecture qui laisse une empreinte : tout ce qui peut paraître un peu fastidieux sur le moment, notamment la description très précise des mouvements de troupes, s'efface, pour ne laisser que le souvenir des moments forts.

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  8. j'ai lu plusieurs tomes des Rougon-Macquart à l'adolescence et j'avais adoré. (Germinal, l'assomoir, Nana ... )J'ai décidé de les lire dans l'ordre cette fois...

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    1. J'ai fait comme toi, mais il manque pas mal de titres à mon actif, notamment Germinal...

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  9. Voilà une chronique qui a du souffle ! Bravo et merci pour la lecture commune. C'est vrai qu'avec un tel héritage, on imagine pourquoi le Second Empire a été occulté de la mémoire nationale pendant si longtemps. Ce n'est que récemment qu'on observe un retour en grâce et une évaluation plus objective de cette période, à mon sens nécessaire. J'avais hésité à parler de l'épisode des chevaux, mais c'est vrai qu'il est marquant !

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    1. J'ai d'ailleurs aussi en partie apprécié ce récit parce qu'il m'a éclairée sur cette période de l'Histoire que je connaissais pas si bien ça, alors qu'elle n'est pas si ancienne... merci encore pour cette excellente proposition ! On remet ça quand vous voulez !

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  10. Depuis mon traumatisme Germinal au lycée, j'avoue que je ne suis jamais parvenue à rouvrir un Zola... Quel dommage quand je lis tes chroniques...

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    1. Je n'ai pas lu Germinal, mais j'aimerais bien... on porte souvent sur une oeuvre qu'on lit de manière volontaire un regard différent de celui qu'on porte sur une lecture "forcée", que l'on triture par des analyses minutieuses...

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